1822 Claude Lachaise, "Topographie médicale"

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C. Lachaise

Académie Royale de Médecine

Rapport : Dans sa séance générale du 26 décembre dernier, l’Académie royale de médecine nous a chargés, MM. Desgenettes, Double et moi, de lui rendre compte d’un manuscrit de M. le docteur Lachaise, ayant pour titre : Topographie médicale de Paris, ou Examen général des causes qui peuvent avoir une influence marquée sur la santé des habitans de cette ville, le caractère de leurs maladies et les règles hygiéniques qui leur sont applicables. […] Le secrétaire de l’Académie royale de médecine certifie que le présent Rapport a été lu et adopté dans la séance du 8 janvier 1822. Signé Beclard


« Dans le troisième chapitre sont passées en revue les causes qui peuvent avoir une influence sur la salubrité de Paris, tant celles qui dépendent des localités que celles qui proviennent de toute autre espèce de circonstances. A cette occasion, l’auteur fait, à l’égard de chacun des douze arrondissements municipaux qui composent la ville, des observations très importantes ; il recherche, dans la disposition des divers quartiers, et dans le genre d’ateliers qu’ils renferment en plus grand nombre, les causes qui décident de leur salubrité comparative, et propose d’une part des moyens généraux d’assainissement, de l’autre des précautions hygiéniques propres à soustraire les habitans à l’action des causes insalubres les plus apparentes. »


Avant-Propos : En examinant les topographies médicales insérées parmi les Mémoires de plusieurs sociétés savantes, ou faisant partie de la collection des thèses inaugurales des diverses facultés, on est étonné de ne rencontrer presque partout que des propositions d’hygiène, applicables à une contrée entière, ou à un département, et de voir les grandes villes, pour ainsi dire, oubliées, ou n’être indiquées que comme servant de point de départ dans la description générale. […]

Douzième arrondissement : Il comprend au sud et au sud-est tout l’espace circonscrit par deux lignes qui, partant du Petit-Pont, suivraient, l’une la rive gauche de la Seine jusqu’à la barrière de la Garre, l’autre la rue Saint Jacques et celles qui se continuent dans la même direction jusqu’aux boulevards extérieurs ; formant ainsi les quartiers Saint-Jacques, Saint-Marcel, du Jardin-du-Roi et de l’Observatoire. Cet arrondissement qui occupe un septième environ de la surface totale de la ville, en a, de tout temps, été regardé comme la partie la moins salubre ; car des causes d’infection propres à quelques-unes de ses parties, et dépendantes aujourd’hui des localités elles-mêmes, ont influé sur la salubrité de plusieurs points que leurs positions semblerait d’ailleurs devoir placer dans des circonstances plus favorables. En effet, lorsque Paris fut érigé en capitale, on sentit la nécessité d’éloigner de son centre les arts et métiers qui répandaient l’odeur la plus incommode, ou ceux dont la malpropreté était la plus apparente ; et ce reglemens semblent avoir dù porter principalement sur les mégissiers, les corroyeurs les chiffonniers, etc. Ces divers ouvriers, ainsi que d’autres appartenant à des corps d’état également malpropres, se retirèrent vers la partie sud-est de la ville, et le choix de cet emplacement fut déterminé par les avantages qu’ils trouvaient, pour leur travail, dans le voisinage de la rivière des Gobelins, et par l’espèce de barrière que les hauteurs de Sainte Geneviève formaient naturellement entre eux et la cité proprement dite. Le nombre de ces manufactures augmentant nécessairement en proportion directe de l’accroissement de la capitale, tout le bassin, c’est-à-dire toute la vallée de la petite rivière, fut couvert d’habitations, et fit partie de la ville. Mais le pressentiment fondé qu’on eut de leur modique revenu fit singulièrement négliger la construction de la plupart de ces maisons et la régularité de leur rapport ; elles devinrent l’asile des ouvriers que leurs occupations appelaient ici, et le refuge de la classe la plus indigente et la plus malpropre de ceux qui travaillaient hors de leur domicile. Ainsi la Bièvre, en fixant sur ses bords plusieurs causes réelles d’infection, devint la cause de l’insalubrité de presque tous les quartiers qui composent cet arrondissement, dont nous allons examiner successivement les diverses parties.

L’espace triangulaire renfermé entre la rue Saint-Jacques, les quais et une ligne qui, de la rue Soufflot, se rendrait au pont de la Tournelle, occupe la pente nord-ouest d’une sorte de butte qui domine tout Paris, et dont le Panthéon forme le sommet. Cette élévation, ordinairement désignée sous le nom de Montagne-Sainte-Geneviève, en s’opposant à l’abord des vents du sud, détermine, selon la remarque de quelques observateurs rigoureux, un froid sensible dans toute la partie inférieure de cet espace, c’est-à-dire celle qui avoisine les quais, et y occasionne une humidité surtout appréciable dans les rues de la Bucherie, Galande, des Trois Portes, des Lavandières, des Anglais, du Plâtre, et même dans celle de Saint-Victor. Remarquons cependant que ce quartier s’est singulièrement assaini depuis la construction d’un marché vaste et couvert où se sont réunies les marchandes de légumes et de poissons, qui couvraient encore si désagréablement la place Maubert , il y a moins de trois ans. La pente rapide de la plupart des rues qui sont placées au-dessus du quartier dont il vient d’être question, est bien une condition qui dépose en faveur de la salubrité du lieu lui-même ; mais malheureusement des circonstances particulières modifient ces avantages dans chacune d’elles. A l’extrémité de la rue Saint Jean de Beauvais, la première de toutes, est la cour Saint Jean de Latran, espèce de communauté qui sert d’asile à des ramoneurs, des chiffonniers, des marchands de peaux de lapins, des savetiers. Ces individus, ainsi que les autres ouvriers, pour la plupart très malheureux, y vivent par chambrées, c'est-à-dire que dix ou douze se réunissent dans une pièce étroite et obscure, et y végètent dans la plus dégoutante malpropreté. C’est pourtant au sein d’une cité riche et populeuse, dans le centre même d’une ville où la fortune fait à chaque pas un pompeux étalage de sa vanité, qu’il existe de tels résidus et tant de misère. Mais réjouissez-vous, hommes philanthropes, vous que l’exercice de la plus noble des professions a rendus les confidens et les témoins habituels des peines de l’indigent ; vous n’aurez pas été vainement ses interprètes et ses défenseurs ; votre voix a été entendue, et vos vœux seront exaucés. Un siècle aussi riche en lumières, saurait-il ne pas être fécond en institutions vraiment aussi utiles, en changements profitables au bonheur du peuple ? Déjà le conseil de salubrité s’est occupé de l’assainissement de l’Enclos Saint Jean de Latran, et a tracé le plan des dispositions convenables. Mais ce lieu cessera d’être insalubre que lorsqu’on aura ouvert quelques rues du côté de celles Sain-Jean-de-Beauvais, Saint-Jacques ou des Noyers, et qu’on aura détruit par ce moyen l’aspect d’une communauté que lui donnent deux ou trois portes de bois qui ferment l’entrée des premières cours.

Presque toutes les rues comprises entre celles des Fossés-Saint-Victor et de la Montagne-Sainte-Geneviève sont habitées par la classe la plus indigente, et conséquemment le plus malpropre des habitans de Paris. Ce sont des marchandes à l’éventaire, des joueurs d’orgues, des baladins de places publiques, des tondeurs de peux de lapins, des cardeurs de matelas, des chiffonniers et des ouvriers journaliers employés dans les manufactures de laine ou de coton de la rue Saint-Victor. Les chiffonniers entassent leurs chiffons et les ordures de toute espèce dont ils sont imprégnés dans de petites chambres étroites où tout accès est interdit à l’air et à la lumière, et les y laissent séjourner jusqu’à ce qu’ils en aient amassé une assez grande quantité pour les transporter aux magasins principaux, établis en grand nombre, dans les rues Gracieuse, Tripperet, Neuve-Saint-Médard, etc. A cette époque ces débris de substances végétale et animale, qu’ils ont indistinctement recueillis dans leurs courses nocturnes, ont eu le temps d’éprouver une sorte de fermentation, et laissent échapper des odeurs délétères dont ils sont très souvent victimes, et qui deviendraient promptement mortelles pour tous autres individus. Ne serait-il pas à désirer, autant que pour l’amélioration de la santé de ces artisans que pour mettre ceux qui les avoisinent à l’abri de tout danger, qu’on les obligeât à ne pas conserver dans leurs réduits ces tas d’ordures, et à les transporter au fur et à mesure, par hottées, aux lieux qui servent d’entrepôt général, et qui eux-mêmes devraient être, non pas des pièces ménagées dans les habitations particulières, mais de vastes hangar situés dans les lieux inhabités, au grand air sur les confions du faubourg, ou mieux encore en pleine campagne. Les chiffonniers, ainsi que les tondeurs de peux de lapins, les cardeurs de matelas et de couvertures, trouvent presque toujours, dans les poussières irritantes au milieu desquelles ils vivent, la cause de leur mort, et périssent, pour la plupart, jeunes encore, de quelque maladie du poumon. Quant aux hydropisies, aux infiltrations des membres inférieurs, aux asphyxies, etc., leur fréquence se trouve suffisamment expliquée par le grand nombre de blanchisseuses qu’on rencontre dans les logemens de quelques-unes des rues du quartier qui nous occupe. C’est surtout chez leur enfans que l’atmosphère continuellement humide, dans laquelle elles sont forcées de vivre, entraine une détérioration bien remarquable : ils sont blêmes, lords, sans intelligence et offrent tous les caractères d’une constitution éminemment scrofuleuse. L’établissement de plusieurs grandes buanderies où s’exécuterait le blanchissage par le moyen de la vapeur, pourrait seul prévenir de semblables accidens. Mais en attendant qu’il fût possible, sans nuire à une foule d’intérêts particuliers, de mettre en pratique quelques-unes des dispositions projetées à cet égard, combien il serait à souhaiter, pour le salut des blanchisseuses, qu’on les reléguât toutes dans les faubourgs mêmes de Paris. Celles qui habitent le centre de la ville sont obligées, par la cherté des logemens, de ses restreindre à des locaux trop peu spacieux pour le genre de travail auquel elles se livrent, et de choisir des rues étroites, qu’elles rendent encore plus malsaines par cette énorme quantité de linge mouillé qu’elles suspendent à leurs fenêtres. Les blanchisseuses qui nous apportent le linge des campagnes voisines, où elles sont plus grandement et plus convenablement logées, n’offrent-elles pas, sous le rapport de la santé, le contraste le plus frappant avec celles qui habitent certaines parties du neuvième ou du douzième arrondissement ? Enfin, un des motifs qui contribuent encore puissamment à la malpropreté des rues dont nous nous occupons, c’est qu’au mépris des ordonnances de police les plus positives, la nuit est à peine arrivée que chacun vide, par les fenêtres des ordures de tourte nature, et infecte par ce moyen la voie publique.

Un peu au-dessus du niveau du sommet des hauteurs Sainte-Geneviève, et vers leur côté occidental, commence un côteau allongé, se dirigeant au sud, pour aller se confondre avec les buttes qui dominent la ville près de Mont-Rouge et de Gentilly. C’est sur le sommet de ce côteau, et sur la pente exposée au nord-ouest, qu’est placé le quartier de l’Observatoire, aussi désigné sous le nom de Faubourg-Saint-Jacques. Ce quartier, exposé à tous les vents, est assez sain, quoique d’ailleurs la plupart des maisons offrent dans leur construction la simplicité, parfois même la négligence et l’irrégularité qu’on remarque en général dans toutes celles qui composent le douzième arrondissement. Il est construit, en partie, sur d’anciennes carrières à pierres que, dans l’origine de Paris, l’on avait exploitées de ce côté-là, et dont les galeries souterraines, connues sous le nom de Catacombes, ne sont qu’une suite. Toute espèce de crainte sous le rapport de la solidité des voûtes sur lesquelles porte ce quartier, serait aujourd’hui entièrement chimérique ; car, dans les lieux où les concavités n’ont pas été comblées, on a construit, à des distances fort rapprochées, d’énormes pilastres qui donnent à ces voûtes un appui suffisant, mais dont elles manquaient encore vers le milieu du siècle dernier, où divers accidens firent douter de leur solidité ; l’élévation de l’extrémité du faubourg Saint-Jacques, son voisinage de la campagne, son éloignement des centres principaux d’infection, sont autant de circonstances qui déposent en faveur de l’air qu’on y respire, et dont on a su tirer parti pour l’établissement de plusieurs maisons de charité, telles que l’institution des Sourds-Muets, l’hôpital militaire du Val-de-Grâce, l’hôpital des Vénériens et la maison de santé du même nom, l’hospice de la Maternité et ses dépendances, enfin l’hospice Cochin. […]

Section sur le quartier Saint-Marceau, ou coule la Bièvre (ndlr). […] Le médecin qui exercera son art dans les différents quartiers dont il vient d’être question, s’apercevra bientôt que les infractions, souvent aux préceptes les plus simples de l’hygiène, sont les causes les plus communes des maladies qu’il aura à traiter, et il n’hésitera pas à attribuer à l’abus des liqueurs alcooliques et d’alimens de mauvaise qualité, les gastrites et les gastro-entérites qu’il rencontrera à chaque instant. Quant à la pustule maline, au charbon, au panaris, à l’antrax, leur fréquence aurait lieu d’étonner, si on ne se rappelait que ces maladies affectent le plus ordinairement les personnes qui travaillent les dépouilles des animaux. La population totale du douzième arrondissement est de 80,079.