2016 Enquête sur Gabiou

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(Nota Bene : ces pages constituent une première ébauche de travail pour une possible interrogation sur les relations qu'on peut lire entre les physionomies des personnages actifs autour de la Caisse des Rentiers et les personnages de la Comédie Humaine d'Honoré de Balzac. Les notes qui suivent ont été préparées par Sara Cordeiro). Une seconde version de cette enquête est en cours de construction sur cette page : 2018 Enquête sur Gabiou)

Un des premiers personnages rencontrés au cours de nos explorations archivistiques autour de l’enclos St. Jean de Latran, a été l'ancien notaire parisien Gabiou, un personnage à la fois centrale et secondaire dans l'histoire de l'enclos. Central car il fait partie du groupe des premiers personnages qui spéculent sur la vente des lots tout de suite après leur nationalisation. Secondaire car, étant lié au réseau de la grande spéculation, très probablement, il n'avait jamais mis les pieds dans les passages et les cours de Saint Jean de Latran, en se contentant d'utiliser ses biens et de les revendre ensuite. Son importance, dans notre recherche, est donc surtout liée à la possibilité que sa figure nous donne de reconstituer les nombreux liens qui se nouent autour non seulement de la vente des biens nationaux mais aussi des complexes spéculations financières entreprises, au cours de ces années, par les groupes et les figures sociales les plus disparates.


Jean-Frédéric Gabiou, ancien notaire à Paris, est un personnage énigmatique: une de ses entreprises les plus importantes a été celle de cofonder et codiriger la “Caisse des Rentiers”, propriétaire pour une décennie de la plupart de l’Enclos. Le caractère énigmatique de cet ancien notaire est le même de la Caisse dont il est fondateur., le même de toute spéculation à l’époque de la Révolution. Une époque où faire tourner l’économie peut être considérée une action patriotique, et où indéniablement il y a des personnes que, pour capacité et encore plus pour ancrage en certains réseaux, arrivent à trouver leur place là où faire tourner l’économie est particulièrement rentable. Jean-Frédéric Gabiou représente parfaitement ces hommes qui animent les tentatives de faire entrer la France dans le monde de celle que, aujourd'hui, nous appellerions une économie libérale. Et la “Caisse des Rentiers”, propriétaire de l’Enclos de Saint-Jean de Latran, est une de ces sociétés qui fleurissent pendant la Révolution dans un activisme financier qui mènera à la naissance des nouveaux sujets de la grande finance française.

la famille Qui est-il ce Gabiou? Né à Paris en 1761 d’une famille bourgeoise, il est l’aîné des trois enfants du maître perruquier et ancien receveur de la loterie royale de France (piste à suivre: il semblerait que, malgré le fait d’être nombreux, les receveur de la loterie royale sont d'habitude choisis dans des réseaux financiers et/ou administratifs de haut niveau), Louis Gabiou, et de Marie Elisabeth Lemoine.

En 1767, au moment de la naissance de Jeanne Elisabeth, ils demeurent rue du Bac.

Ayant un frère, Louis Joseph, et une soeur, Jeanne Elisabeth, tous les trois resteront à partir de 1771, suite au décès de leur mère, sous la tutelle de M. Gabiou père et du bourgeois Charles Lemoine, oncle maternel et futur beau-père de notre personnage.

Marié le 28 février 1789 à sa cousine, le peintre portraitiste, Marie-Elisabeth Lemoine, ils auront trois enfants, Louis Henri, Elisabeth Rosalie Ernestine Adelle, et Edmée Marie Jeanne. Le premier, est né en 1787, avant l’union civile et religieuse de ses parents, ce qu’obligera Gabiou et son épouse à faire appel en cour de Rome pour l’autorisation de leur mariage.

La soeur Jeanne Elisabeth, la cousine-femme Marie-Elisabeth et une cousine (sa belle-soeur), Marie-Victoire Lemoine (qui s’installera chez notre Gabiou et femme après la mort de son père en 1800) sont trois artistes relativement connues pour leurs portraits


Les aventures financières

Bachelier en droit, Gabiou devenient le principal clerc du notaire Farmain (voir dispenses des parentés, AN Z1o-195B du 28.02.1789 ) jusqu’à quand, en 1789, il relève son bureau en devenant notaire à son tour. Et c’est en qualité officiellement de notaire et probablement de co-promoteur que, en 1791, nous le rencontrons engagé dans une première entreprise financière qui porte le nom de “Caisse Blanchard & Doré”. Le nom de la caisse découle des deux hommes qui la dirigent et son fin est directement lié à un des problèmes majeurs de l’époque: le manque de liquidité. Blanchard et Doré réunissent leurs compétences pour proposer d’échanger des fonds particuliers contre des billets d’échange, fabriqués par eux-mêmes afin de « faciliter des opérations ». En effet, Blanchard est un papetier et il peut assurer la production matérielle des billets, alors que Doré est un commissaire de l’Hotel de la ville, quelqu’un en d’autres termes, bien inséré dans le réseau de l’administration. Les opérations que la caisse voudrait envisager sont surtout l’acquisition de biens et immeubles et par conséquent, la jouissance de leurs produits.. Selon l’article 8 du document qui statuait leur société, l’emploi des sommes disponibles en caisse serait fait par Me Gabiou « en acquisition de biens fonds ou en obligation par privilège sur de pareils biens ». Les promoteurs de cette Caisse cherchent à obtenir le support des autorités politiques nationales et parisiennes: leur projet aurait en effet à jouer un rôle patriotique. Faire circuler l’argent est en effet une question vitale. Jusqu’à où faut-il croire à la bonne foi de ces promoteurs financiers dont la Révolution est riche? Difficile à fixer une limite, ce qui est sûr est qu’il y a une partie de la société qui, forte aussi des informations qui circulent dans des réseaux donnés, croit fermement dans la possibilité de participer à la Révolution en faisant leurs affaires. Quand l’argent circule tout le monde en profite, et certains en profitent évidemment plus que d’autres. Sous la Convention, nous retrouvions Gabiou, désormais ancien notaire, en tant qu’acteur important, bien que pas particulièrement en vue, de ce milieu financier au croisement des réseaux administratifs et économiques. Maintenant, il est aussi officiellement promoteur d’entreprises financières qu’il dirige avec un ancien chef du bureau de la Balance du Commerce.


la Mi-tontine dizainaire, une société civique « pour le retirement des assignats » et, également, en germinal an V (mars/avril 1797), de la Caisse des rentiers, une société par actions, responsable pour l’acquisition de plusieurs immeubles à Paris, parmi eux, le dit Enclos. (voir Bouchary). La Caisse des Rentiers est devenue « propriétaire de l’enclos St Jean de Latran au moyen des adjudications faites à son profit par huit procès-verbaux », moyennant la somme de 3.362.600 francs, soit, plus de dix fois sont prix de mis en vente: 298.152 francs.

La Décade philosophique - note sur “Projet de banque présenté par le C. Gabiou, sous le titre de Caisse des Propriétaires” Décade, année VII de la RF, n. 16, p. 444-447

Gabiou fut, en tant qu’administrateur de la Caisse des Rentiers, client de la Caisse de Comptes Courants (note 2) qui en 23 frimaire an VII (13/12/1798) lui accorde des « facilitées exceptionnelles de remboursement » en autorisant l’échange de 6000 F de billets dans un moment où la crédibilité de cette institution était en crise ainsi que la circulation et convertibilités de ses billets (voir BERGERON, 1978, p. 338).

Bouchary dans son livre sur les « manieurs d’argent à Paris à la fin du XVIII siècle » nous fourni une piste interessante sur l’une de possibles destinés de cette société et également, nous laisse apercevoir la liaison existante entre Gabiou et un important cercle de banquiers intéressés à la création d’une grande banque d’escompte, parmi eux, les futurs premiers dirigeants de la Banque de France. Dans ses tentatives, « En prairial an VII (1799), Perregaux avait participé avec diverses personnalités dont les banquiers Récamier et Germain, avec Cretet, etc., à la transformation de la Caisse des rentiers du notaire Gabiou » (p.50). Dans la même année Gabiou publie dans le Moniteur « son plan de banque » qui a été, renvoyé à une commission » (note 4).

Trois ans après, en 1802, on le trouvera dans le compte rendu de l’Assemblée Générale des Actionnaires de la Banque de France. Seulement les deux cents plus forts, et cette force venant de la perception de leurs dividendes, y étais convoqués. Il n’apparaitra pas dans les comptes rendus précédents, ceux de 1800 et 1801, ni dans les postérieurs à 1802. Ce qui nous permet de conclure qui après 1802, soit il a vendu ses actions, soit d’autres souscripteurs plus forts y ont entré dans le club de la Haute Banque. Selon Bergeron, « Certains noms ont disparu du groupe de deux cents plus forts actionnaires, rayés bientôt par la mort (…) D’autres disparitions, plus tardives, s’expliquent par les ravages imputables aux faillites et aux crises (…). Beaucoup de noms, aussi ne sont restés sur la liste qu’un ou deux ans » (BERGERON, p.96).

construction des réseaux - un mariage est l’occasion pour faire le point de la position que la famille Gabiou a conquéri En 1812, il participa au seconde mariage de sa soeur Jeanne Elisabeth Gabiou, alors veuve Chaudet, avec M. Husson, haute fonctionnaire de finances, originaire d’Arras, en présence d’une elite politique liée au commerce et à la finance parisienne. Parmi lesquels on trouvera le duc de Gaëte, ministre de finances, le comte Defermon, ministre d’Etat et président de la section de finances, du comte Duchatel, directeur general de l’administration de l’enregistrement et des domaines, ainsi que d’autres personnalités comme l’architecte Alexandre Theodore Brongniart, « chargé de construire l’édifice de la Bourse ».

Memebre de la Société d’Encouragement pour l’industrie, cf. Bulletin de la Société d'encouragement pour l'industrie nationale, Volumi 12-13, 813, p. 291


Ses derniers apparitions se trouvent dans un ensemble bibliographique. Car, comme la plus part d’entre eux, le « manieur d’argent a fait place au doctrinaire de finance et à l’homme politique » (Bouchary, 1939,p. 101) -> mais il avait déjà publié certaines deses idées?

En 1814 dans sa Lettre à M. le Directeur général de l’agriculture sur la nécessité de permettre l’exportation de laines de mérinos français, Gabiou expresse clairement appui aux propriétaires et cultivateurs des brebis français contre les marchands et manufacturiers de laines fines venues d’Espagne, ces derniers, intéressés exclusivement aux bénéfices que ce commerce les procure au détriment d’une nouvelle source de richesse et de travail pour la nation; puis, en 1816 dans son « Nouveau système de finance et projet de liquidation générale fondés sur la Charte » il propose trouver la solution efficace pour la pénurie de l’argent et la misère des peuples en passant par une réorganisation de la Banque de France. Une autre ouvrage, « Sur le vice radical de la loi de finance, appelé budget » voit le jour en 1819, il s’agit d’une brochure basée sur son système de finances de 1816. Ces ouvrages sont publiés pendant la restauration de la monarchie française, et fait curieux, après avoir été chef des bureaux de l’intendance dans la maison de l’empereur, et d’avoir eu des liaisons avec des hautes fonctionnaires impériaux, comme on a pu voir lors du mariage de sa soeur, Gabiou, traversant apparemment intact tous les différents régimes politiques de son époque, ose critiquer le gouvernement de Bonaparte en lui traitant de perfide, d’usurpateur, de banqueroutier, etc, au même temps qu’il dépose tout son espoir dans le gouvernement des Bourbons.


On le voit, donc, circuler entre 1789 et 1819 dans plusieurs domaines de l’économie française, entouré des gens d’affaires d’une importance considérable, comme Perregaux, banquier d’origine suisse et premier régent de la Banque de France, ainsi que du banquier Ravel, qui se disait, actionnaire de la Caisse de Rentiers (voir Bouchary).

En 1825, on le trouvera également dans les recueils du Journal du Palais accusé de stellionat dans l’affaire Mellerio-Meller pour la vente du domaine de Lozère, acheté par Gabiou en 1793 et vendu en 1816 (note 3)

Il ne semble pas avoir s’enrichi dans ce tas de transactions effectués depuis la fondation de la Caisse des Rentiers, au contraire. Dans l’inventaire après décès de son épouse en 1814, il déclara ne posséder comme bien que la moitié d’une maison dans la Rue du Bac, appelé hôtel de Nevers, qu’il a hérité de la succession de son père, ainsi qu’une exhaustive liste de créanciers de l’époque de la Caisse des Rentiers. Malgré le volume d’affaires réalisés au nom de la Caisse des Rentiers (couvent et jardins des Filles Dieu; les Nouvelles catholiques; maison rue d’Enfer provenant des Feuillants; la régie des fiacres faubourg St Denis; la maison des Filles de l’Instruction chrétienne; l’Abbaye aux Bois; le couvent des Capucins du Marais, l’enclos St Jean de Latran, (Bouchary,1940, 94)) on ne sait pas davantage sur la suite de cette société. On sait néanmoins que certains actionnaires, mécontents du comportement de leurs dirigeants, accusaient Gabiou et Arnould de « ne rendre aucun compte et de consommer tous le produits en constructions ou acquisitions qu’ils revendent ensuite (…) avec tant de secret, en ne mettant ni affiche ni insertions aux journaux, qu’ils en deviennent acquéreurs à vil prix sous des nom interposés » (Bouchary, 1940, p.94). A ces accusations, très enflammées de la part d’un homme de lois dit, Sevère, Gabiou, alors chef des Bureaux dans la Maison de l’Empereur, répond de sa probité dans la gestion de fonds qui lui ont été confié de la part des actionnaires et responsabilise les troubles politiques pour toutes pertes subies par les actionnaires. Dans une lettre adressée à Napoléon, à qui tous ces plaintes sont vite arrivées, il présente, parmi les adroits de son administration, le fait d’avoir eteint plus de « 600.000 fr en tiers consolidé perpétuelle du Grand-livre » (Bulletin n.31 de l’histoire de la Sécurité Sociale, p.209), ce qui n’était pas négligeable, surtout quand la crise financière de 1805 était déjà à l’horizon.


BIBLIOGRAPHIE:

BALZAC, Honoré. La maison Nucingen

               Les Petits bourgeois 
               Le Père Goriot        

BERGERON, Louis. Banquiers, négociants et manufacturiers parisiens du Directoire à l’Empire. Paris, 1978.

BOUCHARY, Jean. Les Compagnies financières à Paris à la fin du XVIIIe siècle (Tome I). Paris, 1940

BOUCHARY, Jean. Les manieurs d’argent à Paris à la fin du XVIIIe siècle, Tome I, Paris 1939.

BOUCHARY, Jean. Les manieurs d’argent à Paris à la fin du XVIIIe siècle, Tome III, Paris 1943.

BOUCHARY, Jean. Les faux-monnayeurs de l’argent sous la Révolution Française. Paris, 1946.

SAND, George. Honoré de Balzac. In: Balzac. Collection Mémoire de la critique, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, 1999.


Notes

1- dont l’étude se trouvait sis à Rue de Richelieu de 1790 à l’an III, puis à la Rue de la Loi, n. 1264 de l’an III à l’an VI et Rue de Moulins, butte Saint-Roch de l’ an VI à l’an VIII.

2 - La Caisse des comptes courants est une banque française fondée en juin 1796 à partir des reliquats de la Caisse d'escompte qui avait été liquidée en 1793. Elle fusionna avec la Banque de France en février 1800. source : http://fr.wikipedia.org/wiki/Caisse_des_comptes_courants

3-https://books.google.fr/books?id=QdgxAAAAIAAJ&pg=PA14&lpg=PA14&dq=gabiou&source=bl&ots=gXSvh9_lF7&sig=Vbzf03GKOMmpfTf5B_blMYwkZrw&hl=fr&sa=X&ei=9FytVMqKOYn9UsHwgbAB&ved=0CDwQ6AEwBTgK#v=onepage&q=gabiou&f=false

4 - cette information à été trouvé dans la Table alphabétique du Moniteur https://books.google.fr/books?id=nQs7AAAAcAAJ&pg=PA1&lpg=PA1&dq=table+alphabetique+du+moniteur&source=bl&ots=Q4rzWK9qdZ&sig=y167PKxGg3RFe2H-XvY0P3-u4ys&hl=fr&sa=X&ei=96ezVKD2Ior2UP2-g4AG&ved=0CEQQ6AEwBg#v=onepage&q=gabiou&f=false)

Selon E. Léon, « la coulisse comprend, dans un sens large, toux ceux qui, en dehors des agents de change, font habituellement des opérations de Bourse: les banquiers, les changeurs, les sociétés de crédit, les vendeurs à tempérament de valeurs mobilières, les agents financiers; tout ceux qui, à un degré quelconque de la hiérarchie, vendent, achètent, jouent, spéculent sans l’entremise des agents de change, pour le compte d’autrui, tous ceux-là peuvent s’appeler des coulissiers » (Hautcoeur apud E. Léon, La coulisse et ses opérations)