2018 Enquête sur Gabiou

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Un des premiers personnages rencontrés au cours de nos explorations archivistiques autour de l’enclos St. Jean de Latran, a été Jean-Frédéric Gabiou, ancien notaire et homme d’affaires parisien, personnage à la fois central et secondaire dans l'histoire de l’enclos. Central car il fait partie du groupe des premiers personnages qui spéculent sur la vente des lots dans lesquels avait été découpée l’ancienne Commanderie, après sa nationalisation. Secondaire car, faisant partie du réseau des plus grands spéculateurs, très probablement, il n'avait jamais eu l’occasion d’arpenter les nombreux passages et cours de Saint Jean de Latran, en se contentant d'utiliser ces biens pour leur valeur d’échange. Son importance, dans notre recherche, est donc surtout liée à la possibilité que sa figure nous donne de reconstituer les nombreux liens qui se nouent autour non seulement de la vente des biens nationaux mais aussi des complexes spéculations financières entreprises, au cours de ces années, par les groupes et les figures sociales les plus disparates.

Jean-Frédéric Gabiou est avant tout un personnage énigmatique: une de ses entreprises les plus importantes a été celle de cofonder et codiriger la “Caisse des Rentiers”, propriétaire pour une décennie de la plupart de l’Enclos. Le caractère énigmatique de cet ancien notaire est le même de la Caisse dont il est fondateur., le même de toute spéculation à l’époque de la Révolution. Une époque où faire tourner l’économie peut être considérée une action patriotique, et où indéniablement il y a des personnes que, pour capacité et encore plus pour ancrage en certains réseaux, arrivent à trouver leur place là où faire tourner l’économie est particulièrement rentable. Jean-Frédéric Gabiou représente parfaitement ces hommes qui animent les tentatives de faire entrer la France dans le monde de celle qu'aujourd'hui, nous appellerions une économie libérale. Et la “Caisse des Rentiers”, propriétaire de l’Enclos de Saint-Jean de Latran, est une de ces sociétés qui fleurissent pendant la Révolution dans un activisme financier qui mènera à la naissance des nouveaux sujets de la grande finance française.


Une trajectoire de mobilité entre Ancien Régime et Premier Empire

Jean-Frédéric Gabiou naît en 1761 dans une famille appartenant à la petite bourgeoisie marchande et que l’on pourrait définir d’aisée, au vu de la nature des liens qu’elle montre d’entretenir avec le milieu des corporations parisiennes mais aussi avec celui de l’administration royale. A partir de l’acte de tutelle enregistré en janvier 1772 suite à la mort de sa mère Marie Elisabeth, nous apprenons en effet que Louis, le père, faisait partie de la riche corporation des maîtres perruquiers.[1] Une position qui apparaît comme bien établie et centrale car, parmi les signataires de l’acte on remarque la présence de deux autres maîtres perruquiers (dont Charles Lemoine, frère de la défunte), deux maîtres rôtisseurs, ainsi que de trois marchands (respectivement mercier, limonadier et marchand de vin). Nous savons aussi, par un acte notarié rédigé au cours de la même période, que Louis a aussi joui du titre de receveur de la Loterie Royale et qu’il vient d'acquérir, pour la somme de 25 000 livre, l’hôtel de Nevers, un immeuble de quatre étages dans lequel il vit avec sa famille depuis deux ans.[2]

A la mort de Marie-Elisabeth, la mère, Jean-Frédéric, son frère Louis-Joseph et sa soeur Jeanne Elisabeth ne sont que des enfants, respectivement de dix, sept et cinq ans. Nous n’avons pas trouvé de documents qui permettent de les suivre au cours de leur adolescence. Mais nous pouvons supposer que la double tutelle assignée par les juges au père et à l’oncle maternel ait favorisé une véritable proximité entre les deux familles puisque nous savons que Jean-Frédéric et sa cousine Marie Elisabeth, donnent naissance en 1787 à un enfant, Louis Henri. Lors de cet événement les deux jeunes ne sont pas mariés et ils ne peuvent pas l’être à cause de leur lien de consanguinité. Mais ils ont demandé à la cour de Rome une dispense qui leur sera octroyée en février 1789 par le commissaire apostolique de Paris, à la suite d’une procédure dont nous avons la transcription de l’audition du jeune couple et de leurs témoins[3].

Généalogie de la famille Gabiou

L’acte est intéressant car il nous restitue une première image relativement précise du parcours social accompli par Jean-Frédéric et, plus globalement, par les deux familles alliées. Jean-Frédéric, nous-dit-on, est devenu le clerc principal de Charles-Louis Farmain, un notaire installé dans la très centrale rue de Richelieu, à la hauteur de la rue Neuve-des-Petits-Champs. Quant à Marie-Elisabeth, elle a déclaré exercer la profession de peintre en portraits. Quatre amis du couple témoignent à l’acte. Il s’agit du sculpteur Antoine Chaudet et du peintre Charles-Edouard Chaise, de 26 et 28 mais déjà très affirmés dans le milieux artistique parisien[4], de Nicolas Chambon de Montaux, médecin en chef de la Salpêtrière et inspecteur des hôpitaux militaires, et Edme Tiron, secrétaire général de l'ordre de Malte[5].

L’environnement relationnel de la famille a donc totalement changé. Les artisans et les marchands qui avaient témoigné dans l’acte de tutelle ont laissé la place à des physionomies sociales proches aux milieux des arts et des industries parisiennes. Mis à part Antoine Chaudet, tous ces “amis” habitent sur la rive droite de la Seine, dans un triangle compris entre le Louvre la rue Saint Marc et la rue des Francs-Bourgeois au Marais, tous dans des rues qui étaient encore, dans cette époque pré-révolutionnaire, parmi les plus recherchées par les haut officiers de la royauté et de l'administration de la ville. L’évidente évolution dans l’inscription sociale des familles Gabiou et Lemoine se lit d’ailleurs aussi à partir de l’importance des biens répertoriés dans le contrat de mariage stipulé le 28 février 1789 entre Jean-Frédéric et Elisabeth[6]. La liste est longue. Pour Jean-Frédéric, on relève une valeur de douze mille livres apportées en espèce ou sous forme de biens d’usage (meubles, vêtements, livres) et de plus de vingt-six mille livres de rentes de nature différentes (créances, investissements, etc.). De son côté Elisabeth apporte une dot dont la valeur n’est pas communiquée et cinq mille livres de biens d’usage.

L’aisance bourgeoise du perruquier Gabiou s’est donc remarquablement renforcée dans le passage générationnel tout en spécifiant son inscription à l’intérieur d’un cadre relationnel marqué par la présence contemporaine des milieux artistiques et administratifs. Dans la nature de cette inscription, la présence féminine est remarquable. Marie-Elisabeth Lemoine, la femme de Jean-Frédéric, est une peintre déjà connue, tout d’ailleurs comme ses soeurs, Marie-Victoire et Marie-Denise. Quant à Jeanne-Elisabeth Gabiou, autre peintre et sœur de Jean-Fréderic, se marie en 1793 avec le déjà très renommé sculpteur Antoine Chaudet, qui avait été l’un des témoins au mariage de son frère[7].

Dans cet univers de peintres et sculpteurs auquel il faut aussi rajouter la présence de l’architecte Michel-Jean-Maxime Villiers, époux de Marie-Denise Lemoine, la dimension du commerce et de l'administration pourraient sembler marginale, voir inexistante. Pourtant elle est bien présente à partir des liens de Jean-Frédéric qui a pu reprendre, en 1790, l’étude notariale de maître Farmain tout en nouant, on le verra, des liens très important dans le milieux de la finance et de l’administration.


A suivre, en travaux.... |:-)


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  1. Archives Nationales, série Y, Châtelet de Paris et du prévôté d'Île-de-France : AN Y//4960/A
  2. Cf. AN MC/ET/CVI/440 - Vente maison Loyaulté à Louis Gabiou. Le statut de l’immeuble n’est pas clair. Dans l’acte notarié on parle d’acquisition de la maison “dite l’hôtel de Nevers” en la situant dans la rue de Bac, en face de l’hôtel des mousquetaires gris. Ce qui positionne l’immeuble entre les rue de Lille et de Verneuil, et entre les actuels numéros 8 et 18 de la rue du Bac. Or, d’après Lefeuve et d’autres sources historiques, au cours des années 1760, dans cette portion de rue il y avait bien un hôtel de Nevers dans lequel le “logement coûtait de 15 à 100 livres par mois”. En manque d’autres sources nous ne savons pas si l’on doit attribuer à Jean-Frédéric Gabiou l’activité d’hôtelier qu’il aurait exercé parallèlement ou après celle de perruquier. Le terme d’Ancien receveur de la Lotérie Royale pourrait faire penser Lefeuve Charles, Les anciennes maisons de Paris. Histoire de Paris rue par rue, maison par maison. Tome 1, Lefeuve, Paris, 1875, p.206.
  3. AN: Z/1o/195B, archives des juridictions spéciales et ordinaires
  4. Ils ont reçu tous les deux le très prestigieux prix de Rome.
  5. Les quatre témoins semblent tous s’approcher du mouvement révolutionnaire qui éclate au cours de la même années.Chaise et Chaudet en particulier feront partie du groupe d’artistes qui accompagnent avec leurs oeuvres les différentes évolutions politiques connues depuis. Élu député de la ville en 1790, Edmé Tiron accompagnera Jean-Frédéric Gabiou dans son parcours à travers l’espace politique et administrative parisien. Quant à Chambon de Montaux, après avoir couvert plusieurs rôles administratifs et politiques, élu maire de Paris en 1792, il démissionne en février 1793 après avoir été accusé de modérantisme en se retirant de toute activité publique. Cf. Robiquet Paul Auteur du texte, Le personnel municipal de Paris pendant la Révolution : période constitutionnelle, Paris, 1890.
  6. Cf. AN MC/ET/XXXII/23.
  7. Prix de Rome en 1784, élu membre de l’Académie en 1789, Antoine Chaudet est un acteur central du mouvement social et politique déclenché par la Révolution, en devenant le sculpteur phare du Directoire et, surtout, du Premier Empire qui le nomme membre de l’Institut en 1805 et professeur à l’Académie des Beaux Arts de Paris en 1810, peu avant sa mort. Plusieurs de ses travaux ont été dispersés ou perdus. Mais on trouve encore de nombreux groupes statuaires dans et sur les monuments parisiens (Musée du Louvres, l’Assemblée, le Panthéon, les Invalides, etc.).